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Lascaux ( Wuhan, Hangzhou, Paris )

Oeuvres sur papier / works on paper

Lascaux Modern Style

Une pièce vide sommairement meublée : une chaise années  50 dans le style Jean Prouvé, un fauteuil, un guéridon, au sol un tapis. Seuls éléments vivants, des plantes d’intérieur – un ficus, un bananier en pot, un yucca –, nature exotique qui fait irruption dans ces intérieurs modern style tout de béton et de verre. Si l’on pouvait regarder par la baie vitrée – dont on ne doute pas qu’elle existe – on apercevrait à coup sûr une piscine entourée de deux ou trois chaises longues recouvertes d’un drap de bain jaune citron. Dehors l’air est chaud. On se croirait à la Stahl House, la célèbre villa construite par Pierre Koening en 1959 sur les hauteurs de Hollywood Hills. Les couleurs, vives et primaires, sont celles de l’Ektachrome ou du Technicolor des films de Douglas Sirk ou du japonais Yasujirō Ozu.  

Les intérieurs de Mickaël Doucet nous invitent à la mélancolie, à la rêverie, laquelle se matérialise dans des origamis qui habitent ses toiles. L’artiste avait intitulé sa série précédente Shao Huo, terme qui trouve son origine dans la culture chinoise du XIXe siècle, désignant les figurines de papier qui symbolisaient la vie des défunts et qui étaient brûlées lors de leurs funérailles. Allégories de la mort et de la violence, ces figurines énigmatiques portaient en elles une forme de menace, profitant de l’absence d’occupant pour investir les lieux. La nature y était également présente à travers les jardins qui entourent ces luxueuses demeures et, tout à coup, ce sont deux univers bien différents, ceux de David Hochney et du Douanier Rousseau qui se juxtaposaient, cohabitation pour le moins surprenante, mais que Mickaël Doucet parvient à nous rendre presque naturelle.

Dans sa nouvelle série, Lascaux, le peintre réintroduit le motif des origamis, mais cette fois ceux-ci sont peints sur les vastes murs blancs de ses intérieurs. La toile a laissé la place au papier, qui rappelle celui dont sont faits ces pliages à l’origine chinois avant de devenir l’art japonais que l’on connaît. Composés en diptyques et triptyques, les tableaux du peintre, qui renoue là avec la tradition des artistes pariétaux, sont  peuplés d’ânes, de grues, de chevaux et autres taureaux en mouvement, comme s’ils se dépliaient là, sous nos yeux, représentés de façon très graphique.

Les parois des grottes étaient irrégulières et les artistes usaient de ces reliefs pour donner vie aux animaux qu’ils peignaient. Les murs des villas sont quant à eux parfaitement lisses et uniformes : ici, ce sont les pliages des origamis qui viennent donner vie aux bêtes sauvages. L’artiste des grottes préhistoriques et celui des villas modernes sont l’un et l’autre animés par la même recherche, signe que l’humanité, malgré les quelque vingt mille ans qui séparent l’âge des cavernes et de la lampe à huile de notre ère atomique, avait conservé les mêmes préoccupations et, en fin de compte, sans doute bien peu évolué. Tous deux demeurent fascinés par la puissance de ces animaux, leur pouvoir quasi magique, leur esprit qui vient habiter l’espace. Et le spectateur se laisse volontiers happer par ce mystère, par l’harmonie qui règne dans ces lieux d’habitation pourtant vides et dans lesquels l’artiste lui aménage un espace. Ce dernier lui a d’ailleurs réservé une chaise dans un coin de sa toile.

Emmanuel Villin

Romancier, né en 1976, auteur de Sporting Club (Asphalte 2016, Folio 2018) et Microfilm (Asphalte 2018).

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